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Porte à bateaux
Article tiré du bulletin municipal N°.. écrit par Michel Féger
Depuis toujours, chaque bassin fluvial forme un réseau naturel de circulation tant par les chemins de fer qui suivent la vallée, que par les cours d’eau qui permettent des transports massifs plus importants.
Les bateliers ont utilisés les cours d’eau tels qu’offerts par la nature ou peu modifiés grâce à des techniques et à des bateaux adaptés.
Cette circulation fluviale a été, jusqu’à l’arrivée des chemins de fer, un élément essentiel de la trame économique du pays permettant l’exploitation des grandes productions de masse (mines, carrières, forêts, plaines à blé, vignobles) et les échanges de produits alimentaires et industriels.
Aussi n’est-il pas étonnant de voir Ivry communiquer avec Rouen dès le XIIIème siècle !
Vers 1446 l’Eure était capable de porter des bateaux de 32 tonneaux (46t).
A cette époque, Charles VII (Jeanne d’Arc) ordonna aux baillis de Chartres et d’Evreux de faire le nécessaire pour faciliter le trafic.
En 1697, un arrêt du Conseil d’Etat déclare, moyennant certains aménagements, l’Eure navigable de Chartres jusqu’à la Seine.
Si les bateaux pouvaient descendre avec le courant, il fallait les tirer pour les remonter d’où l’établissement d’un chemin de hallage sur le bord de la rivière(1445).
Naturellement cela n’allait pas sans un certain nombre de prélèvements (péages) sur les marchandises en nature ou en espèces et une comptabilité rigoureuse des transports.
C’est ainsi, qu’en 1547, dans l’année, sont passés 437 bateaux montants et 367 descendants transportant une très grande diversité de produits : étain, fer, matériaux pour la construction du château d’Anet, bois, pièces de vin, sel, harengs, morues, beurre, huile, cuirs, alun, blé, savon, laine, papier, tissus…
Mais avec les années, le mauvais état de la rivière a limité le trafic (27 bateaux seulement en 1747).
Finalement, en 1869, l’Eure a été classée rivière non navigable. La ligne de chemin de fer a été ouverte en 1873.
Aujourd’hui on a peine à imaginer l’activité qui avait pu régner sur la rivière…
Par ailleurs, du fait de la pente de la vallée, la rivière a été utilisée depuis longtemps comme source d’énergie pour se libérer d’une partie des tâches quotidiennes.
La roue du moulin était connue en Gaule et dans le monde germanique dès le IIème siècle. Elle a été adoptée par les moines qui ont défriché la vallée. De nombreuses activités utilisant la force motrice se sont développées (moulins à grains, foulage du drap, broyage du fer, sciage du bois, mécanique, tissage, fabrication de poudre à canon, tournage du bois, papeteries) alors que d’autres avaient besoin d’eau (teinturiers, tanneurs, corroyeurs, pelletiers) tout en entraînant de la pollution qui heureusement se neutralisait en partie (les teinturiers s’éloignent des tanneurs mais se rapprochent des pelletiers qui traitent avec de l’alun).
Entre les zones « industrielles » l’eau se régénérait à travers les prés.
Les moulins étaient établis directement sur la rivière grâce à des barrages (1à 2 m) ou au bout d’un canal de dérivation à pente plus faible que la rivière, pour obtenir une chute suffisante. Cela permettait de petites réserves journalières d’eau pour en avoir assez aux heures de travail.
Mais ces chutes constituaient un obstacle pour la circulation des bateaux.
L’écluse à deux portes apparaît au Xème siècle en Chine pour remplacer les plans inclinés sur lesquels on faisait glisser les bateaux. Ce type d’écluse, développé par Léonard de Vinci vers 1500, a été adopté pour les canaux. Par contre pour les rivières où il n’y avait pas de problème d’économie de l’eau on pouvait se contenter d’une simple porte à guillotine munie d’un grand besoin de manœuvre.
Fermée, elle maintenait le niveau d’eau pour les moulins. Lorsqu’un bateau se présentait, on l’ouvrait, l’eau se précipitait vers l’aval jusqu’à ce que le courant se stabilise à un niveau intermédiaire permettant le passage du dit bateau d’où le nom de « porte à bateaux ».
Naturellement, cela contrariait l’activité des moulins, d’où certainement de nombreuses discussions pour trouver un bon compromis entre les deux activités.
C’est ainsi qu’à Ivry l’Eure a été divisé en nombreux bras et canaux pour satisfaire les activités industrielles et le passage des bateaux par un bras piqué sur la rivière en amont des autres bras.
La navigation a disparu sans laisser de trace si ce n’est le nom d’une rue. Les moulins qui ont eu leur apogée au XIXème siècle avec la création de véritables usines au bord de l’eau (première machine à papier en continu à Sorel-Moussel en 1816), ne sont plus utilisés car les chutes sont trop faibles pour que l’énergie soit suffisante et compétitive avec l’énergie électrique du réseau produite par des centrales beaucoup plus importantes. Les microcentrales actuelles nécessitent des chutes d’au moins 2 mètres.
Toutefois, ces moulins avec leurs roues, leurs vannes constituent aujourd’hui un témoignage à sauvegarder de l’activité industrielle passée et un des charmes de notre rivière.
Savez-vous qu’il y avait au moins 6 moulins à Ivry ? Il reste encore 3 roues dont l’une entrainait le générateur qui a permis l’électrification du village à partir de 1894.
Ces petites usines au fil de l’eau n’ont-elles pas été la base d’une tradition industrielle à la campagne ainsi que le prouvent les nombreux ateliers et petites usines (mécanique, fonderie, matériel électrique et électronique, imprimerie) à ce jour dans la vallée ?